Le coton pousse, des travailleurs le transforment en tissus, d’autres dessinent dans leur bureau des robes et des jeans que d’autres cousent et décorent dans des usines ou des ateliers, et enfin nous l’achetons. Et après ? Après, il faut continuer à en prendre soin… mais ne pas oublier que la pollution va au-delà des champs et des fabriques. Tout continue dans nos petits pressings et nos petites machines à laver. On y pense à peine, et pourtant, c’est l’une des étapes les plus polluantes du monde de la mode.
Bien sûr, le premier réflexe est de faire attention à la lessive que l’on utilise chez soi et de choisir la machine la moins gourmande en énergie possible. Mais si vous avez l’habitude de confier au pressing vos costumes en mérinos ou votre robe à sequins, Serhat Açig vous propose de les laver sans solvants, grâce à l’aquanettoyage (qui fonctionne même pour les vêtements à sec, allez comprendre).
Rencontre avec un entrepreneur passionné de 22 ans, en phase de révolutionner le marché du Textile Care pour une mode plus durable
D’où t’est venue cette passion d’entreprendre ?
Depuis que je suis enfant, j’adore me renseigner sur tout, d’ailleurs ça fait quatre ans que je regarde un documentaire par jour. J’ai envie de réaliser un projet qui marche : quand j’étais adolescent, ma mère devait cacher mon ordinateur pour que je ne travaille pas toutes mes nuits. L’univers des start-up, je l’ai découvert quand je faisais un apprentissage d’informaticien.
J’étais arrivé en Suisse depuis la Turquie en 2003, j’ai appris le français et continué mes études ici. Mais aucun métier ne me plaisait vraiment, j’ai fini par faire un apprentissage d’employé de commerce pour élargir mon champ de possibilités.
En parallèle, j’ai commencé à m’investir dans des projets personnels, plusieurs ont été des échecs, mais je crois que l’échec est nécessaire. En plus, j’avais des petits jobs, pour mettre de l’argent de côté, donc je ne dormais presque pas mais ça m’a habitué à travailler dur.
Et pourquoi un pressing écologique ?
Il y avait ce pressing à reprendre, à Yverdon-les-Bains, où je terminais mon apprentissage. En soi, se dire qu’on reprend un pressing, ça ne fait pas rêver, mais il fallait penser plus loin, apporter de la nouveauté. J’ai investi toutes mes économies pour le rénover et fonder Egen (« propre à soi » en romanche). Parce que les produits utilisés dans les pressings « traditionnels » sont extrêmement dangereux. Le perchloroethylène (PER), surtout, est un solvant extrêmement volatile et cancérigène. En France, ce type de nettoyage chimique a été interdit et plus aucun pressing ne sera autorisé à l’utiliser d’ici à 2022. En Suisse, il ne se passe rien de ce côté-là, c’est fou.
Certains pressings proposent l’hydrocarbure KWL ou le Décaméthylcyclopentasiloxane (D5) à la place, en disant que c’est « écologique » car ils sont un peu moins dangereux pour la santé, mais ils restent inflammables et polluants. Les pressings qui ont recours à l’aquanettoyage sont très rares, alors que cela ne nécessite aucun solvant et est bien plus écologique.
Il y a clairement une communication à faire à ce sujet, mais je suis convaincu du succès des futurs pressings écologiques, ça a du potentiel. Et maintenant je me suis pris de passion pour ça…
Qu’est-ce qui rend Egen aussi innovant ?
D’abord il y a tout l’aspect technique : en plus d’être beaucoup plus écologiques, ces machines modernes sont plus rapides que les « traditionnelles », elles font un cycle en 20 minutes et nécessitent moins d’énergie. Ces machines utilisent, comme je te l’ai dit avant, des produits bien moins chimiques dont le rejet dans les égouts laisse moins de trace que la lessive normale.
Et ça semble évident, mais cela implique le respect des employés, qui ne doivent pas toucher et respirer des produits cancérigènes toute la journée.
Et puis ma passion pour la technologie m’a fait lancer une application pour smartphone qui permet de passer commande depuis chez soi et de se faire livrer les habits lavés à domicile dans toute la région. Nous avons déjà décroché de gros contrats, notamment avec une école hôtelière romande. C’est la preuve que oui, les pressings écologiques, c’est l’avenir et oui, ça marche.
Tu as l’air vraiment ambitieux, j’imagine que tu as d’autres projets ?
Oui, je ne compte pas en rester là: je vais lancer les franchises pour développer les pressings Egen à l’échelle nationale et même internationale. On va étape par étape, mais je voudrais être le leader sur ce marché, surtout si le perchloroethylène est enfin interdit ! J’envisage aussi un partenariat de transport plus écologique des habits depuis le pressing jusque chez les clients, mais je ne peux pas en dire plus pour le moment…
Photos: Egen et Effleure