Cyril Dion fait sa mue et publie « Imago »

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Un soir d’hiver 2016, de retour du cinéma après le visionnage du documentaire « Demain », j’ai pris une décision. J’avais depuis peu une idée de blog sur le développement durable et « Demain », venait de me confirmer une chose : je voulais oser aller au bout de ce projet. Quelques mois plus tard, Effleure prenait vie.

Bien sûr, je ne suis pas la seule à avoir été inspirée : ce film culte, lauréat du César du meilleur documentaire 2016, a non seulement comptabilisé plus d’un million d’entrées dans les salles françaises, mais aussi fait éclore des initiatives éthiques à travers le monde entier.

L’homme derrière cette petite révolution n’est autre que Cyril Dion. Auteur et coréalisateur de « Demain » – avec Mélanie Laurent-, il est aussi le cofondateur du magazine alternatif « Kaizen », ainsi que du mouvement écologique « Colibris » – en collaboration avec Pierre Rabhi. Il est enfin le nouvel invité d’Effleure.

Cet été, Cyril Dion publie « Imago » (Actes Sud), un premier roman puissant qui nous emmène sur les traces de Nadr, Amandine, Fernando et Khalil, quatre personnages en quête de liberté.

Céliane

Après votre succès en tant que cinéaste, vous publiez votre premier recueil de poésie en 2014 et maintenant ce premier roman. Est-ce que vous aviez l’impression d’avoir un nouveau rôle à jouer en devenant écrivain ?

C’est marrant, je ne m’étais jamais posé cette question donc je suis content que vous me la posiez ! En fait, à partir du moment où j’ai commencé à publier, j’ai essayé de rassembler les différentes parties de moi. C’est-à-dire qu’il y a vraiment une partie qui aspire à créer, à  s’exprimer, et une partie qui vise à faire quelque chose qui puisse servir aux autres. Et la façon dont je conçois ma vie, mon art et mon activité, c’est un peu ça : réconcilier les différentes parts de moimême.

Pour moi, les films et les livres, ce n’est pas tout à fait pareil. Parce que je pense que dans les films il y a cette capacité à créer un imaginaire, alors que dans les livres on a cette possibilité d’aller vraiment dans l’intime des personnages et de comprendre comment ils fonctionnent depuis l’intérieur, ce qui me paraît aussi être fondamental pour comprendre les évènements qui se produisent dans le monde aujourd’hui.

Je crois que l’on peut dire que c’est un roman engagé, est-ce que vous saviez en l’écrivant, que ce serait le cas, ou est-ce que vous vous en êtes rendu compte après ?

En réalité, quand on commence à écrire un roman, on ne sait pas trop où on va. C’est un peu comme quand on fait des rêves : il y a des morceaux d’inconscient, de choses que vous avez vécues, que vous fantasmez, qui se mélangent. Et on défriche petit à petit. Donc c’est vrai que je me suis rendu compte que ce livre avait une portée politique, engagée, et cætera, très, très tard : au moment, en fait, où je le retravaillais avec mon éditrice et qu’elle me faisait des retours par rapport à ça. Et aussi « couillon » que ça puisse paraître, je n’y avais jamais pensé ! (rires) Ce n’est pas du tout une thèse politique, ce sont vraiment quatre personnages qui ont des trajectoires qui se croisent dans des circonstances particulières. L’objectif c’était d’abord de raconter ces personnages.

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La notion d’enfermement revient très souvent dans le livre. Est-ce que vous pensez que c’est un roman de libération ?

Oui, pour moi c’est un roman de libération, c’est sûr. Je pense que j’avais besoin d’explorer les différents enfermements qu’on peut traverser : enfermement géographique pour Nadr qui est bloqué physiquement dans Gaza, enfermement de Fernando dans ses souffrances et dans ses dogmes économiques, enfermement d’Amandine, de la même façon, dans cette incapacité à vivre dans le monde tel qu’il est, enfermement religieux et dogmatique de Khalil, aussi.

Parce que moi je ressens ça depuis que je suis tout petit, l’impression d’être enfermé à l’école, l’impression aussi d’être enfermé dans le fait de devoir ensuite travailler pour gagner de l’argent et de ne pas pouvoir choisir ce qu’on fait, d’être aliéné. Il faut bien à un moment trouver l’espace de notre liberté, de notre capacité à choisir notre vie et pas seulement la subir. Et ne pas, surtout, vivre la vie des autres, celle qui nous est imposée par l’endroit où l’on est né, par notre famille, par les souffrances de nos aïeux, et cætera.

Parmi les retours que les gens vous ont faits, est-ce qu’il y en a qui vous ont particulièrement touché ?

Il y a des retours qui m’ont beaucoup touché ! Un des moments où je me suis dit que j’avais vraiment réussi à faire quelque chose, c’est quand une lectrice est venue, un peu déstabilisée et troublée, et m’a dit : « Je me suis presque identifiée à un terroriste. J’ai réussi à comprendre pourquoi il faisait ce qu’il faisait, et pas forcément à l’excuser, mais à avoir de l’empathie. À me dire, mais finalement, à sa place qu’est-ce que je ferais ? ». Et je me suis dit : mais alors ça c’est vraiment génial, parce que c’est ça, la fonction de la littérature, c’est permettre de nous identifier à des gens que l’on ne rencontrerait jamais, qui n’ont a priori rien à voir avec nous. Et pourtant, c’est nécessaire, encore une fois, sans l’excuser, de percevoir pourquoi on peut en arriver là.

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Dans « Imago », la nature apparaît très souvent à la fois comme créatrice et comme étant en train de se désagréger. Est-ce que, comme certains de vos personnages, vous craignez de devenir « orphelin » de cette planète ?

C’est sûr que l’image de la « mère nature », c’est une sorte de fondement. C’est-à-dire que la mère c’est celle qui nourrit, et aujourd’hui c’est la nature qui nous nourrit, qui fait qu’on peut continuer à fonctionner. Donc cette espèce de distorsion qui nous fait nous couper de la nature avec le sentiment qu’on pourrait s’en passer et donc qu’on pourrait être comme des orphelins qui vivent sans faire attention à leurs origines, est extrêmement inquiétante.

Moi je pense que l’une des raisons pour lesquelles les êtres humains sont sur terre, c’est pour comprendre d’où ils viennent, l’interaction qu’ils peuvent avoir avec l’ensemble des écosystèmes… à quoi ils servent. À quoi l’être humain sert, sur cette planète, lui qui a la capacité de réfléchir, d’anticiper, de conceptualiser, au contraire d’autres espèces ? Pourquoi on est là ? Si on renonce à se poser ces questions, on se met en position, à mon avis, de disparaître.

Est-ce que vous pourriez me parler du titre du roman : « Imago » ?

Définition de la page de garde du livre :

Imago (n.m.) : désigne le stade final d’un individu dont le développement se déroule en plusieurs phases (en général, œuf, larve et imago).

La mue qui aboutit à l’image est dite marginale.

Pour moi c’était essentiellement en rapport avec la mue des personnages qui étaient dans cette espèce de cocon et qui aspiraient à devenir des papillons, à s’échapper. Avec le côté extrêmement éphémère du papillon. C’est ça qui est fou dans la nature, c’est qu’à peine le papillon s’est transformé, un ou deux jours plus tard, il est déjà mort. Il disparaît.

Il y a quelque chose de ça qui se produit avec les personnages, sans dévoiler non plus la fin… Mais à partir du moment où ils se libèrent, est-ce qu’ils s’autodétruisent, est-ce que cette libération est tellement violente qu’elle les désintègre, ou est-ce qu’ils sont capables de la traverser et de prendre une dimension qu’ils n’avaient pas ?

 

Photos : Céliane De Luca

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